Le ville de Cuccagna c’est un lieu heureux où chaque besoin, chaque désir – avant tout de manger beaucoup et bien – trouve une réponse facile et immédiate. La nourriture ici est inépuisable et très facile d’accès. Cela ne coûte aucun effort ni aucune dépense. Nous sommes au royaume de l’utopieaux antipodes du pays de la faim, un lieu de réalité quotidienne, marqué par la difficulté, par la peur, par l’inquiétude constante du manque de nourriture.
Cuccagna est raconté dans les principaux Traditions littéraires européennes depuis le Moyen Âge, dans de nombreux pays et dans de nombreuses langues. On y croise des lacs de lait et de beurre, des rivières de vin (rouge d’un côté, blanc de l’autre), des arbres pleins de fruits – et même des crêpes chaudes, immédiatement parfumées par une pluie de miel. Chapons, perdrix et faisans (tous cuits et bien assaisonnés) pleuvent également du ciel. Tout autour, d’énormes fours produisent (à eux seuls) des pâtés chauds et des pains frais, tandis que des fontaines et des ruisseauxcascade ils y jettent du poisson rôti et bouilli… et ainsi de suite. Les gourmandises se succèdent, de manière sensiblement similaire, mais aussi avec des variations importantes.
L’italien (uniquement celui-là) offre, au centre du pays, un montagne de fromage râpé sur lequel roulent des « macaronis et raviolis ». C’est ainsi que la représentent les nombreuses images imprimées qui, depuis le XVIe siècle, donnent corps et concrétisation géographique à l’utopie. Nous en reproduisons ci-dessus une de la fin du XVIIe siècle, publiée à Bassano par Remondini.
L’archétype littéraire de cette montagne est en Décaméron par Boccace, troisième roman du huitième livre, où un groupe de farceurs fait croire au naïf Calandrino qu’il existe une ville merveilleuse – ici appelée Bengodi – où les vignes sont liées avec des saucisses et où avec un seul centime on peut acheter une oie, en ajoutant un canard. Sur la fantastique montagne de fromage râpé (Boccace veut du parmesan) «Il y a des gens qui ne font rien d’autre que faire des macaronis et des raviolis, et les cuire dans un bouillon de chapon, puis ils les jettent, et celui qui en prend plus a plus». Il ne s’agit peut-être pas de macaronis et raviolis au sens moderne du terme : à l’époque, les macaronis étaient également appelés gnocchis au pain et à l’eau (semblables aux raviolis d’aujourd’hui) et les raviolis pouvaient être de simples boulettes de viande. de pain, œufs, viande, fromage, légumes, pas toujours recouverts d’un boyau de pâtes. Cela rend leur roulage sur les pentes de la montagne, en se couvrant de fromage exquis, encore plus crédible, physiquement crédible. Même dans les textes non italiens, la montagne de nourriture apparaît, mais les spécialités de ce genre n’en dérivent pas : en France, ce sont des viandes, des saucisses, des soupes. Comme pour dire que même l’imagination a une limite : celle des cultures dans lesquelles elle naît. L’Italie est le pays des gnocchis et des macaronis et se caractérise par la culture des pâtes, toujours assaisonnées de fromage. Au Pays de Cocagne, il existe mille gourmandises, mais elles occupent une place centrale, au milieu du rêve.